Arcane XIII
Arcane VI
Arcane III
Arcane XV

 
 
Les Arcanes de la passion.
 
 

- Arcane Troisième -

 

Se libérer n'avait pas été chose facile, mais elle y était arrivée. Monter à la capitale, lorsque l'on est proche du milieu universitaire, est facile, et les prétextes ne manquent pas. Y passer la nuit, par contre, est plus complexe. Mais elle le désirait, et y était parvenu.
Elle n'avait cessé, dans le train, de jouer avec l'invitation. L'histoire avec S. était décidément parsemée de ces enveloppes qui apportaient tant de mystères et de merveilles. Celle-ci avait contenu un complexe carton écru portant en lettres dorées l'intitulé " Dîner des Arcanes, Château de Beaucourt, le 22 Mars 2000, 20 heures ", et, en caractères plus petits : "Masques et élégances exigés ".  Sans oublier la simple mention manuscrite " J'y serai, vous y serez. S. "
Plus la date de cette rencontre approchait, et plus les choses s'étaient mises en place. La chambre qu'il lui avait réservée, les indications vestimentaires qu'il lui avait suggérées : tout concourrait à transformer ce mystérieux dîner en une excitante aventure.
Elle alla directement de la gare à l'hôtel. À son arrivée, le réceptionniste lui tendit un paquet - elle en fut à peine surprise - et cette attention supplémentaire de S. la fit sourire.
Une fois la porte de sa chambre fermée, elle ouvrit le paquet, qui contenait une lettre, une large boîte blanche et un curieux écrin elliptique. La lettre disait simplement ceci :

Béatrice,
Pour me plaire, ce soir, accepterez-vous d'échanger le fuchsia contre le cuivre ?
Ardemment
S. 

Cuivre ? Une couleur dorée et chaleureuse pourquoi pas après tout. Elle ouvrit la boîte blanche, qui contenant différents produits de maquillage, ainsi qu'une note : " Appelez la réception et demandez Isabelle ".
L'Isabelle en question était une charmante maquilleuse, qui, par la magie d'une succession de gestes précis, transforma Béatrice en une princesse orientale. Elle se regarda longuement dans la glace : ce maquillage-là fascinait, la rendait bronzée, et donnait à ses lèvres de cuivre l'envoûtante aura d'une princesse orientale.

Elle retourna dans la chambre, et, enlevant son peignoir, termina de s'habiller. Elle comprenait maintenant la combinaison des couleurs qu'il lui avait demandée. Une fois ses sexys et intimes dessous enfilés (autant être prête à le surprendre, et ses atours la rendaient confiante dans son pouvoir de séduction), la longue robe noire, la tunique rouge sombre portée sur un chemisier à col indien écru, ainsi que la coiffe saharienne, rouge également, dont il lui avait expliqué l'arrangement, la transformait en une elfe étrange et attirante. Elle fut elle même surprise du résultat. Nouveau sourire.
L'heure approchait, et elle s'impatientait en attendant dans le hall, jouant avec le mystérieux étui qu'elle savait ne pouvoir ouvrir qu'une fois installée dans la limousine qui viendrait la chercher.
Ceci fait, elle y découvrit un masque, un discret petit loup de soie noire, qu'elle mit devant ses yeux. S. aimait le mystère. Elle aimait le mystère. Et S. la laissait de moins en moins indifférente, mais elle savait qu'il lui fallait encore ensommeiller quelques démons avant qu'elle se sente capable d'assumer ce sentiment.
Le chauffeur la conduisit, à travers la nuit, en dehors de Paris. Après un trajet qu'elle trouva interminable alors qu'il n'avait duré qu'une petite demi-heure, ils passèrent la grille d'un grand parc, et elle distingua au loin la façade illuminée d'un distant château.
La voiture entra dans une cour, et une charmante jeune femme, masquée, ouvrit la porte et la guida. Elle arriva alors dans une large cour carrée. L'endroit était admirable.
La cour était bordée d'un passage couvert qui s'étendait en de larges arcades. À la lueur des flambeaux, la pierre vibrait de cette chaude couleur que seuls reproduisent certains couchers de soleil. Au-delà des arcades s'éten-daient de courts massifs de buissons et de fleurs, qui encadraient la cour à proprement parler.
De nombreuses tables étaient dressées, et les convives s'essaimaient dans cet espace, buvant, conversant, allant d'un buffet à un autre : plus de deux cents personnes étaient ainsi assemblées Un orchestre, très discret, très 
jazz enveloppant l'ensemble dans une douce mélopée. 
Les hommes étaient tous en smoking, et les femmes épiçaient l'assemblée de leurs couleurs chaudes, toutes à base de rouge, orange, marrons et ocres mélangés. Les lueurs des flambeaux et des multiples chandeliers qui  éclairaient la scène donnait à la scène une impression de calme, de paix et de sérénité.
Mais où était-il ?
       Mais qui était-il ?
Blancs, noirs ou écrus, des masques semblables au sien donnaient à tous les visages le même anonymat, et elle ignorait comment le reconnaître.

 

Elle s'approcha de la foule, et sentit immédiatement la surprenante différence. Tous, hommes et femmes, la saluaient. Elle engagea de multiples conversations, discuta avec plusieurs personnes. Quand elle disait chercher un ami, la réponse était toujours la même : " Mais nous en cherchons tous ".
Rapidement, elle se prit au jeu : tous étaient charmants, cultivés, raffinés, tantôt amusants ou chaleureux. Elle se sentait si bien, elle se sentait ailleurs, transportée, et savait que c'était précisément ce qu'il voulait.
L'avait-il senti, l'avait-il observée ? Toujours est-il qu'elle sentait maintenant sa présence, qu'elle savait qu'il était là. Sixième sens ?
Un frôlement lui fit tourner la tête et croiser un regard qu'elle connaissait bien. " In your eyes ". Par-delà le loup de soie qu'il portait brillait l'éclat subtil de ses yeux calmes.
Il souriait. Elle sourit. Il la prit par la main et l'entraîna sous les arcades.
A l'écart de la foule, sous l'ombre protectrice de ces drapés de pierre, commença leur première réelle conversation. Que se dirent-ils ? De quoi rirent-ils ?  Cela leur appartient.

 
 
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