Elle alla directement de la gare à
l'hôtel. À son arrivée, le réceptionniste lui
tendit un paquet - elle en fut à peine surprise - et cette attention
supplémentaire de S. la fit sourire.
Une fois la porte de sa chambre fermée,
elle ouvrit le paquet, qui contenait une lettre, une large boîte
blanche et un curieux écrin elliptique. La lettre disait simplement
ceci :
Béatrice,
Pour me plaire, ce
soir, accepterez-vous d'échanger le fuchsia contre le cuivre ?
Ardemment
S.
Cuivre ? Une couleur dorée et chaleureuse
pourquoi pas après tout. Elle ouvrit la boîte blanche, qui
contenant différents produits de maquillage, ainsi qu'une note :
" Appelez la réception et demandez Isabelle ".
L'Isabelle en question était une
charmante maquilleuse, qui, par la magie d'une succession de gestes précis,
transforma Béatrice en une princesse orientale. Elle se regarda
longuement dans la glace : ce maquillage-là fascinait, la rendait
bronzée, et donnait à ses lèvres de cuivre l'envoûtante
aura d'une princesse orientale.
Elle retourna dans la chambre, et, enlevant
son peignoir, termina de s'habiller. Elle comprenait maintenant la combinaison
des couleurs qu'il lui avait demandée. Une fois ses sexys et intimes
dessous enfilés (autant être prête à le surprendre,
et ses atours la rendaient confiante dans son pouvoir de séduction),
la longue robe noire, la tunique rouge sombre portée sur un chemisier
à col indien écru, ainsi que la coiffe saharienne, rouge
également, dont il lui avait expliqué l'arrangement, la transformait
en une elfe étrange et attirante. Elle fut elle même surprise
du résultat. Nouveau sourire.
L'heure approchait, et elle s'impatientait
en attendant dans le hall, jouant avec le mystérieux étui
qu'elle savait ne pouvoir ouvrir qu'une fois installée dans la limousine
qui viendrait la chercher.
Ceci fait, elle y découvrit un masque,
un discret petit loup de soie noire, qu'elle mit devant ses yeux. S. aimait
le mystère. Elle aimait le mystère. Et S. la laissait de
moins en moins indifférente, mais elle savait qu'il lui fallait
encore ensommeiller quelques démons avant qu'elle se sente capable
d'assumer ce sentiment.
Le chauffeur la conduisit, à travers
la nuit, en dehors de Paris. Après un trajet qu'elle trouva interminable
alors qu'il n'avait duré qu'une petite demi-heure, ils passèrent
la grille d'un grand parc, et elle distingua au loin la façade illuminée
d'un distant château.
La voiture entra dans une cour, et une charmante
jeune femme, masquée, ouvrit la porte et la guida. Elle arriva alors
dans une large cour carrée. L'endroit était admirable.
La cour était bordée d'un
passage couvert qui s'étendait en de larges arcades. À la
lueur des flambeaux, la pierre vibrait de cette chaude couleur que seuls
reproduisent certains couchers de soleil. Au-delà des arcades s'éten-daient
de courts massifs de buissons et de fleurs, qui encadraient la cour à
proprement parler.
De nombreuses tables étaient dressées,
et les convives s'essaimaient dans cet espace, buvant, conversant, allant
d'un buffet à un autre : plus de deux cents personnes étaient
ainsi assemblées Un orchestre, très discret, très
jazz enveloppant l'ensemble dans une douce
mélopée.
Les hommes étaient tous en smoking,
et les femmes épiçaient l'assemblée de leurs couleurs
chaudes, toutes à base de rouge, orange, marrons et ocres mélangés.
Les lueurs des flambeaux et des multiples chandeliers qui éclairaient
la scène donnait à la scène une impression de calme,
de paix et de sérénité.
Mais où était-il ?
Mais
qui était-il ?
Blancs, noirs ou écrus, des masques
semblables au sien donnaient à tous les visages le même anonymat,
et elle ignorait comment le reconnaître.
|