Le galion.
Elle était sur un bateau ! Sur un
bateau à voile ! Plus exactement une sorte de galion. Construit
du même bois qui embellissait partout la maison.
Le bateau était la proie d'une mer
déchaînée, des vagues passaient par-dessus bord, les
voiles déchirées s'entortillaient autour des mats.
Des silhouettes s'agitaient de partout sur
le pont, vêtus de costumes amples. L'agitation était désespérée,
chacun essayant de sauver sa peau.
Elle voyait certaines de ces silhouettes
en train de s'encorder au bastingage, d'autres autour des mats.
Le bruit de cloche provenait de l'avant
du bateau, où quelqu'un sonnait à toute volée. Et
puis, à l'arrière, elle reconnut la barre. Une silhouette
à la chevelure imposante tentait de maintenir le cap. Mon Dieu comment
cela était-il possible ?
Entre de lourds canons de métal noir
amarrés sur le pont, des tonneaux roulaient sur le pont. L'un d'eux
vint s'écraser à quelques centimètres de sa tête.
Elle avait voulu l'éviter, mais elle était toujours par terre
et n'avait pu bouger comme elle le voulait. Son regard se porta sur son
corps. Elle était entravée dans une espèce de robe,
un truc complètement démodée qui se portait dans certains
bals masqués. La robe décorée de volants à
moitié arrachés, avait souffert. Elle était maculée
de taches diverses et l'on avait du mal à en distinguer la couleur,
un rose clair. Elle n'avait plus de chaussures, mais ses jambes restaient
gainées de bas opaques qui avaient dû être blanc et
qui étaient troués et déchirés à certains
endroits.
Elle sentait aussi autour de sa taille comme
un cerceau de métal qui flottait, et vue la position dans laquelle
elle se trouvait il la faisait souffrir.
Elle avait presque tout de la marguerite
qu'on vient d'écraser. Quant à ses bras, ils étaient
attachés dans le dos au niveau des poignets.
Elle sentait d'ailleurs la morsure des fers
alors qu'elle se débattait...
Une chose était sûre dans tout
ça ! Sa propre vie était en danger et elle devait réagir...
Mais comment ? |
|
Ballotée par les ruades du bateau, malgré
ses genoux et ses coudes écorchés, elle essaya de s'appuyer
contre la paroi en bois qu'elle découvrit derrière elle.
Le navire semblait une boîte d'allumettes
prête à se disloquer à tout moment dans cette tempête
furieuse. Des vagues déferlèrent sur le pont entraînant
avec elles les dernières créatures qui n'avaient pu s'attacher.
La situation d'Alyssa, au ras du pont, lui permettait au moins d'éviter
de passer par-dessus bord...
D'où elle était, elle pouvait
distinguer le pont arrière. La personne venait de quitter
la barre pour réapparaître quelques secondes plus tard.
Coincée entre un baril et une caisse
qui avaient pris appui sur le système d'ancrage des canons, elle
ne bougeait plus et son horizon devint à peu près stable.
C'était une femme, elle en était
quasiment sûre, qui était là-haut !
Debout derrière l'étrange
roue, elle tenait dans ses mains un livre de taille imposante.
Alyssa ne savait pas ce qui se passait exactement.
Mais quelques instants plus tard, le livre ouvert devant elle vit la femme
hurla dans le vent.
Ses cheveux noirs volant dans tous les sens,
un nez de rapace, le regard concentré, elle portait sous son haut
sombre une large ceinture, le reste était caché par la roue
maudite...
Derrière elle, venait d'apparaître,
de se matérialiser, une créature humanoïde qui dépassait
en taille, largement la femme.
Ainsi Alyssa pu suivre la suite des actions.
La créature , vétue d'une grande robe, avait une tête
de loup. A travers les embruns qui balayaient le navire, elle put apercevoir
également un collier de métal attaché à son
cou avec une chaîne qui semblait mener vers la femme ou vers le livre...
Ils discutèrent calmement quelques
instants, malgré la présence de la tempête, puis la
discussion sembla s'envenimer.
La créature ouvrit la gueule comme
pour mordre, mais rapidement la femme qui avait plutôt montré
jusqu'ici une certaine déférence, tira le collier vers elle,
fit plier la bête, prit un air mauvais et, la toisant du regard,
elle sembla lui donner des ordres.
La créature se rebella, en vain,
d'innombrables petits éclairs jaillirent de la chaîne et du
collier, et la douleur fût telle pour la bête qu'elle finit
par se soumettre.
La femme finit de cracher son venin, et
la créature, calmée, sembla considérer le péril
dans lequel se trouvait le navire. Elle ouvrit une large gueule et se mit
à vomir, des dizaines de petites créatures qui lui ressemblaient.
De couleur bleue, translucides, celles-ci se mirent à voleter autour
du bateau. |
|
Elles semblaient à la fois enragées
et heureuses. Ce ballet aérien arrêta les vagues qui venaient
bousculer le galion, et en quelques instants, à l'abri dans cette
sphère protectrice, le bateau retrouva une mer calme.
Rien ne pouvait toucher la coque, ni approcher
du
pont. De manière systématique, à une vitesse défiant
l'imagination,
tout était repoussé sans faille,
sans répit !
C'était comme si le monde s'était
arrêté. Le bateau ne bougeait plus. On ne sentait plus le
vent. Ne restaient sur le voilier en piteux état, que les dégats
causés par la tempête.
Alyssa, dans le calme retrouvé, s'aperçut
que tous les marins présents étaient des femmes, s'affairant
à défaire leurs liens. Comme si pour elles tout danger était
définitivement écarté. Un bateau composé de
femmes ? Alors derrière là-bas c'est le capitaine ?
Cette pensée la réconforta
un peu, elle tourna la tête vers la poupe. La femme et la créature,
liées par le livre et la chaîne la regardait.
Un même rictus déformant leur
visage.
Tout ceci était trop réel,
trop brutal pour Alyssa qui perdit connaissance.
|