Alyssa

Conte pour adultes

de Akin

 


 
 
 
 
 

La maison.
Le soleil pointait déjà à l'horizon lorsqu'Alyssa sortit sur le perron de sa maison. Il donnait décidément à la maison un aspect inquiétant, soulignant de ses rayons matinaux les contours de haute silhouette qui se dressait, tel un défi, face à la mer.
L'irréalité de la scène était probablement due à la brume légère qui montait de l'océan. On avait donc du mal à discerner le rez de chaussée de la demeure, alors que la toiture et cette haute tour semblait se découper sur le ciel.
Le brouillard avait au moins cela de bon, on ne la verrait pas dans son accoutrement bien masculin somme toute.
Ainsi elle s'enfonça dans la végétation touffue qui constituait maintenant le jardin du vieux domaine. Elle eut un peu de mal à se repérer mais ses pas l'amenèrent jusqu'au mur de la maison. Une fois là elle se décida à suivre ce mur sur la gauche. Si elle ne le lâchait pas elle finirait pas retrouver la porte. Nul Doute !
La chose n'était pas aussi aisée qu'elle croyait. Au début, elle commença par vraiment s'en tenir au mur... coûte que coûte ! Mais après s'être retrouvée coincée dans des épineux, sagement elle prit la décision de suivre les contours des buissons impénétrables qui parfois épousaient le mur de la maison.
C'était comme si le temps n'avait plus prise sur Alyssa. De façon méthodique, elle ne quittait plus des yeux la muraille. De temps en temps une fenêtre venait orner ce mur, les volets toujours clos bien sûr. Le bois légèrement vermoulu laissait sûrement pénétrer à l'intérieur un peu de lumière. Et elle y avait aussi cette frise continue, faite de coquillages englués dans une sorte de ciment.
Parmi eux, certains paraissaient étranges, de formes complètement inconnues. La mer oublie parfois sur la plage des choses aux origines lointaines, et aux formes émoussées mais là c'était autre chose. Les couleurs étaient passées certes, et parfois une plante grimpante cachait la frise. Il y avait bien quelques coquilles Saint-Jacques, quelques carapaces de crabes ou des coquillages connus. Mais il y avait beaucoup d'autres formes bizarres.
A un moment donné, elle testa la solidité de l'une de ces plantes, espérant s'en servir comme d'une liane pour atteindre la frise... Rien à faire, celles-ci n'étaient pas assez solide.
Il commençait à faire chaud. Le brouillard avait disparu et que le soleil tapait fort.
En fait, elle était arrivée sur le bord de la falaise, c'est précisément au moment où elle regardait le soleil que son pied rencontra le vide.
En un instant tout bascula dans sa tête. L'instinct de survie fit place à l'émerveillement de la découverte et en se raccrochant à un poteau usé elle réussit à stopper sa chute !
La mort... voilà ce qui l'attendait 100 mètres plus bas ! Une mort nette. Malgré la présence de la mer toujours houleuse sur le bas de la falaise, les nombreux rochers qui en tapissaient le fond et le peu de profondeur de l'eau lui garantissait, non pas une noyade, mais une mort plus préférable. Même si le terme ne lui plaisait pas trop.
Le poteau en bois auquel elle s'était raccrochée in extremis n'était pas en très bon état mais il avait suffit à la sauver...
Comment avait-elle pu faire une erreur aussi grossière... ?
Elle n'était pas passé devant la porte, c'était impossible, et  elle n'avait pas pu se tromper de sens pour contourner la maison... A moins bien sûr que dans le brouillard elle ne se soit vraiment égarée et... Bref ! Le temps n'était plus à la pensée mais à l'action !
Avant de rebrousser chemin elle se força une dernière fois à regarder le sort funeste auquel elle avait échappé... Son regard remonta le long de la falaise jusqu niveau de la maison... Il y avait à quelques mètres de là, au-dessus du vide, le reste d'une plate-forme en bois avec des pans de murs et tout un fatras suspendu ainsi au-dessus du vide...
Le toit avait presque disparu, cette partie de la maison semblait être très endommagée, mais hélas ou heureusement inaccessible de l'endroit où elle se tenait.
Jadis une passerelle devait exister. Elle en distinguait encore les restes et le poteau salvateur devait avoir été son point d'ancrage.
Encore sous le choc de ce qui avait failli lui arriver, elle fit demi-tour. Se servant du bâton comme d'une canne d'aveugle elle avançait plus sûrement... Laissant la frise en dehors de son champ de vision, elle se concentrait sur ses pas.
Quelle idiote elle avait été ! Subjuguée par la beauté de l'endroit elle avait oublié les principes élémentaires de prudence.
Bonne leçon finalement, se dit-elle en retrouvant la double porte, Ha ! Te voilà toi ! Si tu savais ce que tu as failli me coûter !

Bonne leçon finalement, se dit-elle en retrouvant la double porte, Ha ! Te voilà toi ! Si tu savais ce que tu as failli me coûter !
La porte était fermée comme il se doit ! Mais elle n'avait ni serrures, ni poignées ! Et les gonds n'étaient pas apparents !
Bon. Réfléchissons... elle doit certainement pouvoir s'ouvrir. Elle mit ses gants, puis elle s'arquebouta contre l'une des portes et puis contre les deux... En vain.
D'après le bruit du bâton sur le bois de la porte, celui semblait être épais et en bon état.
L'un des cotés de l'entrée avait été attaqué par ces lianes qu'elle avait déjà vues à plusieurs reprises sur la maison. Sachant qu'elles n'offraient aucune résistance, Alyssa dégagea rapidement le pan de mur caché pour y trouver une plaque dorée. A coté une poignée retenue par une chaîne pénétrait dans le mur.
La chaîne et la poignée semblaient être encore en état, contrairement à la plaque où le temps avait fait son office... Il y avait quelque chose de gravé dessus mais difficiles à lire.
Pas grave ! De son sac elle sortit son carnet de croquis et une mine grasse (qui ne la quittait d'ailleurs jamais), et fit un frottis de la plaque.
Elle déchira en tout trois feuilles et fit trois passages de façons différentes. Ensuite elle remit le tout avec précautions dans le fond du sac.
Elle aurait tout le temps d'étudier le texte à la maison... La poignée était ce qu'elle avait cherché sans succès depuis 5 minutes !
Tout d'abord elle examina l'ensemble, le métal était presque luisant, contrairement à la plaque vert-de-gris qui se trouvait dessous. Après s'être assurée qu'il n'y avait pas matière à se blesser, elle entrepris de tirer sur la chaîne.
Au début, il y eut un petit peu de résistance, puis un léger déclic se fit entendre en même temps que cela cédait. Et la porte s'entrouvrit.
Excitée comme une puce Alyssa poussa plus en arrière le pan de porte qui avait bougé et pour la première fois pénértra dans la maison.
"Enfin ! , se dit Alyssa je t'ai eu ! Non mais !"
Et c'est avec fierté mais néanmoins une pointe d'appréhension qu'Alyssa s'avança dans le vestibule.
La lumière à l'intérieur est diffuse. Mis à part l'entrée maintenant éclairée, la pénombre était de mise dans la demeure fermée.
Il n'y avait pas de pierre apparente à l'intérieur. A la place un bois noble venait défendre la beauté des murs, depuis le sol jusqu'au plafond.
Un parquet lisse constitué de petites lattes de bois de couleurs différentes donnait au sol un aspect de damiers. Triangles et losanges jouaient à cache-cache au centre de ces dalles !
Les murs étaient recouverts de lattes verticales sans fioritures aucune.
Quant au plafond il était difficile à distinguer à cause des poutres nombreuses qui s'entrelacaient.
Sans surprise, la maison est telle qu'Alyssa l'imaginait. Un peu déçue toutefois elle arbora une légère moue. Après tout à quoi avait-elle pensée ?
Son esprit débordant d'imagination, bridé par son éducation stricte et la vie qu'elle avait menée jusqu'alors, encouragée par la liberté de vie qu'elle menait depuis une semaine, l'avait entraîné dans un univers fantasmagorique qui à la fois l'effrayait et l'attirait !
Hélas, il n'y avait devant elle que des pièces vides, le vestibule donnait sur une grande pièce générale. De là des portes conduisaient vers la cuisine, le débarras, la salle à manger,... et puis il y avait cet escalier qui montait au premier étage. De là on accédait aux chambres, de différentes tailles, toutes avec une fenêtre fermée.
Bref la balade fut assez rapide, sans trop de recherche, plutôt un vagabondage dans une maison grande certes, et certainement séduisante jadis... mais bon.
Il restait sur les murs, comme on aurait pu s'y attendre, les traces de tableaux, d'armoires, de bahuts, de commodes. De même au sol, des tapis gigantesques devaient autrefois orner le parquet.
Mais... là ! Plus rien... La maison avait fait l'objet d'un déménagement en règle et la seule  curiosité était cette barre,
cette grande roue servant à gouverner les bateaux, qui était fixée au sol du premier étage.
En fait, elle était restée là, car à première vue, les fixations n'étaient pas apparentes et les déménageurs n'avaient probablement pas voulu la détruire.
Elle était belle, faite d'un bois orné de cuivre, comme dans ces gravures montrant de grands navires anciens. Elle, par contre n'avait pas de poussière ???
Bah... C'est certainement dû à la manufacture de l'objet pensa-t-elle, ou peut-être à un traitement qu'on applique sur le bois des bateaux... Quelque chose dans ce style.
Etant donné qu'il n'y avait rien d'autre de notable dans cette maison, avant de repartir, elle s'arrêta une dernière fois devant la roue.
Lorsqu'on était devant celle-ci on donnait face à l'entrée, "Curieux se dit-t-elle, j'aurais plutôt vu ça face à la mer..."
La mer... Tiens !  au fait, je n'ai pas vu de porte donnant sur la plate-forme, ni sur l'extérieur, ni dans une cave, et point d'escalier montant à la tour...
Pendant ce temps-là ses mains s'étaient mises machinalement à toucher, à caresser la barre...
Quelle chaleur étrange dégageait ce bois... même le cuivre semblait tiède et doux au toucher...
Elle sentit brusquement un vent léger lui caresser les oreilles, porteur d'un bruit de mer trop présent pour être vrai, comme un murmure lointain...
Aussitôt elle retira ses mains et les sensations disparurent. Ce doit être la fatigue, et la nervosité sûrement !
Elle ferma les yeux et un instant essaya de s'imaginer la vie dans cette demeure. Une famille d'un statut assez élevé vu la grandeur de la demeure. Il devait y avoir une salle pour le piano, une autre pour la bibliothèque... De nombreux enfants...
Peut-être... Peut-être pas... Elle venait de refermer ses mains sur la barre.
Avec stupéfaction, elle se rendit compte de son geste. Ses mains crispées, tétanisées sur la roue. Le bruit léger qu'elle avait entendu il y a quelques secondes revenait à ses oreilles. Et un vent puissant venait de s'engouffrer dans la pièce.
Les yeux écarquillés, elle s'accrocha instinctivement à son seul point d'appui. Sous la violence du vent le chignon venait de se défaire, libérant sa magnifique chevelure. Des embruns glacés venaient fouetter tout son corps et elle pouvait sentir autour d'elle les éléments qui se déchaînaient.
Des cris parvenaient à ses oreilles ainsi que le bruit d'une cloche qu'on agite frénétiquement, vite il fallait prendre une décision, mais ne pas lâcher la barre, surtout ne pas la lâcher...
Bâbord ? Tribord ? Ses mots instinctifs avaient surgi dans son esprit. De toutes ses forces elle vira du coté gauche. Ce faisant ses mains quittèrent la barre. Le vent soufflait toujours aussi fort dans la pièce faisant claquer les portes sans cesse... Hébétée,  elle regarda autour d'elle et perdant l'équilibre, elle tomba dans l'escalier... puis se rua vers la lumière de la grande porte.
Une fois dehors elle courut encore, à perdre haleine, et dût s'arrêter pour reprendre son souffle.
Quelle peur! ... Mais elle n'était pas mouillée pour le moins de monde, il y avait sur tout un coté de ses vêtements une bonne couche de poussière et elle en était quitte pour quelques contusions c'était certain !
Pour ce qui est du reste, pas de bruit bizarre, pas de traces d'humidités, et en jetant un oeil vers la maison elle se rendit compte que des volets étaient ouverts et battaient contre le mur.
Elle avait certainement dû créer un sacré courant d'air en ouvrant la porte à double battant...
La maison n'avait pas livré tous ses secrets. Et c'est fatiguée, clopin-clopant qu'elle rentra chez elle.
Une bonne tisane, un bain chaud, la fatigue de la journée l'emporta sur le reste de ces décisions, elle se mit au lit de bonne heure...
Elle regarderait demain les écrits sur la plaque...
La nuit fut encore agitée ! De telle sorte qu'elle se réveilla à plusieurs reprises. La réalité presque tangible de la scène maritime qu'elle avait vécue avait laissé dans son esprit une empreinte beaucoup plus forte que la fatigue qui l'avait emportée dans un sommeil troublé.
Quelle petite fille ridicule je fais ! Décidément elle s'en voulait d'être aussi impressionnable ! Un verre d'eau me ferait aussi le plus grand bien, se dit-elle.
Elle se leva de son lit et prit la direction de la cuisine. Instinctivement, arrivée à proximité d'une fenêtre, son regard se porta vers l'extérieur.
La maison était là, plus impressionnante que jamais, comme un défi à la mer, comme un défi au ciel !
Sous la lumière légèrement blafarde d'un trois-quarts de lune elle crût apercevoir comme une lueur diffuse provenant de la fenêtre la plus haute. Celle de la tour.
Curieux d'ailleurs qu'elle n'ait pas réussi à trouver le passage qui menait là haut.
Elle était certainement passée à coté. Avec toutes ces boiseries inhabituelle, son sens de l'orientation avait été éprouvée, mais demain... Oui ! Demain elle y retournerait.
De la-haut la vue doit être formidable...
Le verre d'eau apaisa sa soif, et elle acheva la nuit enveloppée dans ses draps.
Le lendemain matin, après une bonne douche et un petit déjeuner frugal, elle se mit à étudier les frottis.
Comme il faisait beau et qu'il n'y avait pas de vent, plutôt que de s'installer dans son bureau fraîchement aménagé, elle s'installa sur sa terrasse.
A la lumière de jour, et... face à la maison, comme par défi.
"Si hier tu ne m'as offert aucune satisfaction, aujourd'hui je vais t'arracher au moins un secret !"
Et elle entreprit une étude sérieuse de ses papiers, après plusieurs essais, contours, détourages,...
Un mot, et un seul semblait avoir été inscrit sur la plaque, sous réserve bien sûr, qu'elle ait été précise dans son relevé d'empreinte.
Un mot... Elle s'attendait à trouver au moins le nom d'une famille, c'était plus dans la logique des choses ou une qualification sociale, comme médecin untel, notaire, avocat...
Mais non un seul mot ! Qui plus est, cela pouvait être difficilement le nom de la maison ou du domaine. Mais les lettres révélées par son travail ne formaient que ce mot : Torment !
Plus que jamais elle voulait savoir pourquoi.
Sans plus attendre, elle se leva. Prise d'une frénésie grandissante elle voulait en avoir le coeur net.
Cette fois-ci elle connaissait bien le chemin, pas de problème.
Elle mit un pantalon léger et doux, car les bleus qu'elle avait récoltés sur la hanche et à l'épaule étaient encore douloureux.
Une chemise ample ferait l'affaire. Elle prit avec elle, une lampe torche et le bâton de marche. Dans un petit sac à dos, elle mit des feuilles plus fines, et des mines de fusains pour le cas où il faudrait recommencer le relevé.
Qu'est-ce que c'était que ce cirque ? Il lui fallut à peu près quinze minutes de marche rapide pour atteindre le perron !
La direction qu'elle s'était tracée mentalement avait été la bonne et c'est sans encombre que la double porte apparue dans son champ de vision.
Celle-ci était fermée, elle ne se rappelait pas l'avoir fait. Mais avec tous ces courants d'air qu'elle avait provoqués... Et puis ses souvenirs s'étaient légèrement estompés.
"Commençons par vérifier ta plaque !", Dit-elle en s'adressant à la maison.
Le sourire narquois aux lèvres, le sourire du vainqueur s'effaça rapidement à la vue du morceau de cuivre qui ornait l'arche d'entrée.
La plaque était propre, lisse, parfaite, comme neuve...
Presque brillante comme si elle venait d'être astiquée. En son centre un mot et un seul : Offering
En tremblant légèrement, Alyssa toucha la plaque, aucune aspérité n'accrochait la peau de ses doigts. Elle suivit le contour des lettresen n'en croyant pas ses yeux.
Par précaution, elle fit un frottis, qui se révéla net et précis du premier coup. Nul doute ! Torment avait disparu pour laisser place à Offering.
Impossible, se dit-elle, je n'ai pas pu me tromper ainsi ! C'est trop gros !
Alors elle se mit à réfléchir à sa mésaventure d'hier, à la façon dont elle s'était trompée dans ses repères en contournant la maison.
"Mais... Alors... Trouvé !", Le sourire était revenu, elle se dirigea vers l'autre coté de l'arche, les ronces qui étaient collées sur celle-ci avaient été tout simplement repoussées par le vent et dessous la vieille plaque attendait Alyssa, sage, comme si elle savait ce qui allait se passer.
Elle poussa un soupir de soulagement !
"Et un point pour moi !" Cria-t-elle de joie, "maintenant à la tour !"
Elle tira sur la chaîne et entra dans la maison noyée dans la pénombre.
Pas de problèmes ! dit elle à haute voix. "J'ai ce qu'il faut !"
Elle brandit la torche devant elle et l'alluma.

 
 
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